MATHIEU OUI
 

Autoportrait avec mon père

 En mars 2021, je séjourne alors chez mes parents, je me lance dans une série d’autoportraits.

Je me réjouis d’activer un dispositif inspiré de mes jeux d’enfants, auquel je pense depuis quelques temps.  L’idée m’est venue d’utiliser un ancien jeu de cubes de construction pour créer un cadre dans lequel je viendrais poser mon visage devant l’objectif.  

Plus jeune, j’ai beaucoup joué à construire des palais, temples, dédales d’architecture réalisés avec ces cubes de bois, des constructions éphémères que j’élaborais avec beaucoup de soin.

Je suis ravi de renouer avec cette activité de mes jeunes années. Réunir le plaisir de construire avec celui de faire une image, mais le résultat s’avère décevant. Mon idée se révèle une fausse piste, trop littérale: une quarantaine de prises de mon visage, mais aucune à sauver. Sur quelques variantes de ces autoportraits, figure ma main au centre du cadre. Je mime le geste du photographe : comme si j’appuyais sur un déclencheur.  En toute fin de séance, je demande à mon père de poser sa main sur l’édifice de cubes.

Je redécouvre cette série par hasard, alors que je replonge dans mes archives. Mon père est décédé il y a un an. Je n’avais pas revu ces images. Et puis,  surgissent ces quatre photos, celles avec la main de mon père.  Ses doigts ridés, son alliance, je ne vois plus que ce salut d’outre-tombe. Je réalise que ces photos sont probablement les meilleurs autoportraits espérés lors de la prise de vues.  Une image qui me parle de ma relation à mon père, de ce goût pour la construction qu’il m’a transmis.  Au centre de la photographie, une zone noire, rectangulaire, délimitée par le cadre de cubes : une camera obscura. En m’offrant un appareil argentique pour mes 18 ans, mon père m’a ouvert une voie. Lui qui a consacré sa vie à faire des plans et édifier des bâtiments m’invitait à suivre  mon désir d’images. Dans cet autoportrait sans visage, je nous vois tous les deux, réunis.